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3 septembre 2024

Pathologic 2

Voici un article que j'ai mis du temps à écrire. Mais c'est un article qui me tient à coeur, car je considère que Pathologic 2 est un véritable chef d'oeuvre et que c'est l'un des jeux vidéos qui a le mieux réussi à exploiter les forces de ce média.

Introduction et univers

En revanche, il faut se rendre à l'évidence, Pathologic 2 est un jeu difficile d'accès. Il l'est encore plus pour nous, francophones, car il est disponible uniquement en Russe ou en Anglais. Et au-delà de la barrière de la langue, les textes sont parfois un peu obscurs. La culture du jeu est très riche et est absolument unique. Beaucoup de mots et d'expressions ont été inventés pour le jeu, ce qui vient ajouter une dose de confusion supplémentaire.

En effet, Pathologic est inspiré par la Russie des années 1900, mais se déroule dans un univers complètement fictif. Bien que le jeu est en majorité réaliste, il comporte également des éléments surnaturels ainsi que des créatures étranges qui se mêlent avec les autres habitants. Ceux-ci font partie du peuple des steppes, une tribu un peu en marge de la société, mais qui a rejoint la ville pour survivre. Beaucoup de ses membres travaillent à l'usine et vivent dans un immense immeuble.

Pathologic joue beaucoup sur ce décalage entre les cultures ancestrales et l'industrialisation, entre la tradition et la modernité. On y incarne un médecin. Lui aussi jongle entre la science moderne apprise dans une école de la capitale et des remèdes chamaniques qu'il fabrique à l'aide de plantes sauvages. On pourrait d'ailleurs se demander si notre personnage n'en consomme pas. Le jeu est parfois trippant et semble en partie écrit par David Lynch. Les rêves hallucinatoires ou prémonitoires sont fréquents et je ne parlerais même pas des scènes se déroulant dans un théâtre.

Dans ce contexte, Pathologic 2 nous propulse au sein d'une petite ville isolée du reste du pays. Lorsque notre personnage revient sur la demande de son père, une épidémie de peste se déclenche et notre but est simple : survivre 12 jours. En tant que l'un des seuls médecins présents, on doit idéalement soigner le maximum de personnes et trouver un remède pour la maladie. Les heures défilent en temps réel et nos actions doivent être choisies judicieusement. L'histoire est très sombre, et les morts et les tragédies ne manquent pas.

Le temps est précieux

Pathologic 2 est parfois présenté comme un jeu de survie à la première personne. On doit en effet gérer pas mal de jauges : la faim, la soif, la fatigue et également l'immunité à la maladie. Cependant, ne vous y trompez pas, Pathologic 2 est avant tout un thriller narratif avec des évènements et des quêtes prédéterminées. Même s'il comporte des systèmes et de l'aléatoire, il y a beaucoup de textes à lire et la sensation se rapproche plus d'un Disco Elysium que d'un jeu infini à la Rust par exemple.

À ce stade de la review, je dois vous signaler une précision importante : Pathlogic 2 est un remake de Pathlogic 1. Je n'ai que très peu joué à ce dernier, mais il possède lui aussi un statut culte chez les fans. Ces deux jeux ne sont pas strictement identiques, mais l'histoire est globalement la même. Par contre, l'original était très difficile d'accès et le remake a rendu le jeu bien plus accueillant. Les graphismes ont pris un gros coup de jeune et sont maintenant superbes. La mise en scène est très réussie et les lumières sont bien utilisées. Les musiques sont superbes et très marquantes. Cependant, le principal avantage de Pathlogic 2 sur son ainé est d'avoir amélioré l'interface de façon incroyable.

La carte de la ville est très claire et très utile, elle nous indique tout le temps où on peut trouver la suite de nos missions. Au lieu d'un classique journal de quêtes, on dispose d'une mind map dans laquelle des connexions entre les différents points clés se créent au fur et à mesure qu'on les découvre. Je n'ai jamais vu ça dans un autre jeu et j'ai trouvé ça très pratique. On peut également utiliser le mode "focus" pour mettre en surbrillance les personnages qui ont des choses importantes à nous raconter. Dans une ville bien remplie, c'est une fonctionnalité que j'ai adorée et j'aimerais bien la retrouver plus souvent.

Pathologic 2 nous fait découvrir son univers de façon progressive. Après l'une des meilleures introductions qui m'aient été données de vivre, on est lâché dans un monde ultra ouvert. Mais pourtant, on est très bien guidés. On a en général accès à la quasi-totalité de la ville, mais je ne me suis jamais demandé ce que j'allais faire. Au contraire, on est le plus souvent débordés. Les objectifs sont nombreux et les personnages nous donnent parfois des sortes de quêtes. Notre principal souci va donc être de trouver comment utiliser au mieux notre temps. Les déplacements sont souvent longs, la ville étant à une échelle réaliste et il faut donc faire des choix. Il existe un moyen de voyager plus rapidement, mais il requiert des objets assez rares et on ne peut pas en abuser.

On incarne un personnage faible, mais capable de se battre. Celui-ci doit chercher des ressources en fouillant des poubelles, en faisant du troc avec les habitants ou du commerce avec les marchants. Tout comme le temps, les objets sont rares et précieux. Ils peuvent tous être utilisés d'une façon ou d'une autre, il suffit de découvrir comment pour les rentabiliser au mieux. Il existe aussi un système de réputations assez important dans le jeu, car les mauvaises actions seront parfois le meilleur moyen de se procurer de quoi survivre.

Survivre est un challenge

Maintenant que je vous ai donné un aperçu du gameplay, il est temps d'aborder sa caractéristique la plus controversée : la difficulté. Pathlogic 2 est en effet un jeu assez impitoyable et on pourrait presque le qualifier de désagréable. On doit constamment gérer plusieurs jauges contradictoires : la fatigue et la faim augmentent sans arrêt. Lorsqu'on se repose, la faim monte. Lorsqu'on mange, cela peut faire monter la soif. La soif diminue la taille de notre barre d'endurance et nous empêche donc de courir trop longtemps, ce qui est gênant, car je vous rappelle que le temps est précieux. On peut boire pour la régénérer, du moins au départ, mais elle est aussi utilisée pour créer des potions indispensables pour affronter l'épidémie. On peut stocker des bouteilles, mais il faut fouiller constamment pour en trouver des nouvelles et les remplir dans des sources d'eaux qui deviennent de plus en plus rares. En plus de tout cela, l'argent est compté et le prix de la nourriture ne cesse d'augmenter lorsque l'épidémie progresse...

Bref, notre personnage n'est jamais "bien" dans ce jeu. Il y a toujours quelque chose qui nous manque et on n'a pas le temps de tout faire. Le jeu est parfois cruel et pour illustrer cela, rien de mieux que d'aborder la gestion de la mort... Tout d'abord, sachez qu'on ne peut pas sauvegarder n'importe où, il faut trouver des points spécifiques. Il est très facile de perdre une partie de notre progression parce qu'on a pris un peu trop de risques et qu'un bandit nous a poignardés dans une allée. Aller sauvegarder nous oblige toujours à faire un détour, ce qui est un choix en soi.

Mais en cas de mort, on ne perd pas simplement du temps, on obtient aussi un malus de façon définitive. Cela pourra être une partie de notre barre de vie, de notre endurance ou d'autres punitions plus subtiles. Ces pénalités affectent toutes nos sauvegardes, il est impossible de revenir en arrière. En conséquence, on a vraiment pas envie de prendre trop de risques et on en vient très vite à craindre la mort. Le moindre bandit devient rapidement effrayant, car les combats sont chaotiques. De façon assez réaliste, un affrontement au couteau se termine toujours par des blessures, même si on l'emporte.

Je dois vous avouer que je n'aime pas les mécaniques de survies et que si j'étais entrain de lire le texte ci-dessus, je n'irai pas acheter ce jeu ! C'est la raison principale qui m'a fait hésiter aussi longtemps à l'essayer… Pathlogic 2 me semblait repoussant. D'ailleurs, si on regarde les succès Steam du jeu, il n'y a que 37% de la communauté qui a vu le jour 2, ce qui ne représente pourtant pas un challenge très important. Dans la suite de cet article, je vais donc m'efforcer de vous convaincre que cette difficulté n'est pas gratuite et que c'est un élément essentiel pour nous faire vivre une expérience inoubliable.

Une boucle de gameplay très efficace

Tout d'abord, je tiens à vous rassurer, le gameplay est brutal, mais il n'est pas injuste. On nous offre énormément d'outils pour gagner des ressources et il y a toujours un moyen de s'en sortir. Le scénario est également prévu pour nous donner des petits coups de pouce de temps en temps et on peut globalement manger assez facilement si on ne dépense pas son argent n'importe comment. On ne sera pas riche, mais rester en vie suffira à arriver au bout du jeu.

Ensuite, je trouve que la boucle de gameplay est vraiment très prenante et très bien fichue… Pour m'en assurer, j'ai tenté immédiatement une seconde partie après avoir terminé le jeu et je l'ai adorée. J'étais un peu plus serein et j'ai pu essayer d'optimiser mes objets et mon temps. À ma grande surprise, je suis vite devenu très riche ! Il se trouve que les mécaniques de troc sont très bien pensées. À force d'expérimenter, on finit par comprendre quels objets ont de la valeur pour quelles personnes et à quel moment. On découvre quels endroits permettent d'accéder aux ressources voulues, quand stocker de la nourriture et à quelles heures de la journée on devrait chercher des herbes...

On découvre aussi que les enfants sont une source de troc très précieuse et on se rend vite compte qu'ils ont une importance capitale dans l'histoire. Ils ont créé leurs propres leurs groupes et leur hiérarchie. Ils sont complexes, possèdent tous leur passé, leurs motivations, leur personnalité. C'est un des rares jeux où les enfants ont une vraie place et ne sont pas simplement un élément de décors ajouté pour la crédibilité, mais rendus invincibles pour ne pas choquer. Car ici ils peuvent, comme les adultes, être infectés et mourir.

La cohérence entre narration et gameplay

On en vient au point capital qui fait que Pathologic 2 est un chef d'oeuvre... Je pense qu'un jour, j'écrirais un article sur la façon dont les jeux vidéos parviennent à nous raconter une histoire. Certains se basent sur des cinématiques, des dialogues, des textes à lire. D'autres jeux en créent de façon naturelle avec des systèmes automatiques et aléatoires. C'est notamment le cas dans les jeux de type "bac à sables" et vous pouvez chercher des let's play narratif sur Youtube pour en avoir des exemples. Le génie de Pathologic, c'est d'arriver à faire les deux.

En effet, Pathologic 2 possède une écriture très travaillée, mais la majorité des émotions nous viennent des interactions qui surviennent grâce aux mécaniques. Et justement, la difficulté est l'un des éléments qui permet de générer ces émotions. Pour apprécier ce jeu, il faut donc arriver à lâcher prise. Accepter le fait que les développeurs ont volontairement choisi de nous mettre dans une situation pénible. Ils veulent que l'on sacrifie des quêtes ou des personnages, car on est trop occupés à chercher de quoi manger. Simplement survivre est difficile dans ce jeu, et aider les autres dans ce contexte est un challenge qui amène à des choix compliqués.

J'ai déjà écrit de nombreuses fois à quel point j'aime quand un jeu parvient à nous faire plonger dans le même état d'esprit que notre avatar. Pathlogic 2 est avare en ressources, parce qu'il essaye de nous stresser, de nous faire ressentir du désespoir… Et il y arrive. Pathologic 2 est rythmé par des évènements qui viennent sans arrêt relancer l'intérêt du jeu. En général, tout va mal pour nous, et d'un coup, ça devient encore pire. Ce n'est pas un jeu que l'on doit conquérir comme un Dark Souls. Ici, on ne joue pas pour devenir meilleur, on joue pour tenter de survivre et d'aider au mieux, malgré les difficultés.

Ce jeu ne pourrait pas être transformé en film ni en livre. C'est l'un de ces jeux rares et précieux qui utilise la force de ce média à son plein potentiel. Biensur, un film peut être intense et nous faire ressentir de la tristesse ou un sentiment d'injustice par exemple. Mais dans Pathologic, la vie de nombreux personnages est entre nos mains et on va éprouver des émotions supplémentaires et inédites dans d'autres médias : des remords, de la culpabilité ou encore de l'angoisse.

Émotions et moralité

Pathologic 2 est en effet le premier jeu qui a réussi à augmenter mon niveau d'anxiété. En jouant, j'étais réellement stressé, parce que j'avais du mal à survivre, je n'avais pas assez d'argent, et surtout je savais que ce qui allait arriver serait forcément pire. On le sait, car on est influencés par l'introduction du jeu qui choisit de nous montrer la situation lors du 12e jour, de nous faire découvrir notre avenir si on échoue. On est donc mentalement conditionnés d'entrée de jeu.

Mais malgré ce stress, j'ai eu constamment envie de jouer. J'avais une sorte de sentiment de devoir avancer, d'optimiser mon temps pour faire tout ce que je pouvais chaque jour, d'apprendre à découvrir de nouveaux objets et de comprendre leur fonctionnement. Ce jeu m'a obsédé et même si je me sentais dépassé par les évènements, je ne pouvais pas m'empêcher d'y revenir. On nous présente de nombreux personnages et on finit forcément par s'y attacher. Le fait qu'une grosse partie de ces personnages soient des enfants est certes un peu manipulateur. On a envie de les aider, on se sent responsable d'eux et on veut tout faire pour combattre cette épidémie.

On va essayer de les sauver et on va probablement échouer en partie. Le temps et les ressources sont limités, il n'est pas possible de faire tous les choix. Sur la page du magasin il est écrit : vous ne pouvez pas sauver tout le monde… Le jeu nous frustre et nous met en difficulté. Mais cette frustration est nécessaire pour nous plonger dans un certain état d'esprit. Pathologic 2 nous demande de faire des sacrifices. Si on veut soigner quelqu'un, il va falloir lui donner un médicament qui est rare et qui pourrait nous sauver la vie. Les choix sont difficiles et sont marquants justement parce qu'on manque de tout. On risque à tout moment l'infection et on doit traverser des zones dangereuses. Les remèdes sont rares et précieux.

Du coup, on croise parfois une personne agonisant au sol et on choisit de l'ignorer, de conserver nos flacons. Peut être même que l'on va utiliser ce flacon pour aller piller une maison dans un quartier infecté. Ou peut être que l'on va troquer ces remèdes contre de la nourriture. Dans ce jeu, j'ai choisi de laisser mourir une petite fille, car j'avais trop peur d'être atteint par une maladie que je ne comprenais pas. Je m'en suis voulu pendant des jours, mais j'ai fait ce choix de manière parfaitement réfléchie, car j'étais certain que je n'arriverai jamais à terminer le jeu si j'étais devenu infecté à mon tour.

Dans les jeux vidéos, il est fréquent qu'on nous demande de faire des choix moraux. Mais bien souvent, on doit simplement choisir l'histoire que l'on veut voir. Il est très facile d'être généreux lorsque cela ne nous coute rien. Pathologic 2 nous permet d'explorer l'égoïsme en nous mettant face à des situations désespérées. C'est un jeu parfois cruel, mais également passionnant qui a choisi d'aller jusqu'au bout de sa vision. Il m'a offert une expérience unique et je continuerai d'y penser pendant longtemps.

Conclusion

Comme j'ai tenté de l'expliquer dans cet article, Pathologic 2 m'a fait vivre des émotions que je n'ai retrouvées dans aucun autre média. C'est un jeu incroyablement bien réalisé disposant d'une boucle de gameplay très prenante. Je suis bien conscient qu'il peut être difficile d'accès. Mais si vous aimez les jeux qui proposent une narration originale et en accord avec leur gameplay, vous vous devez d'essayer ce chef d'oeuvre.

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